Inachevé le 13.06.06 à 23h10
En rond, nous nous étions réunis dans une petite cour de la fac, à répéter les chants de chorale pour notre examen qui avait lieu dans quelques jours. Le temps était aux tenues légères et l’envie m’avait pris de débarquer tout en blanc. Un mélange de transparence, de broderies et d’élasticité, par-dessus une longue jupe voilée qui s’envolait au vent. J’étais jolie.

Mélie s’exténuait à diriger ce groupe bien éparpillé, Mambo s'évertuait à scrupuleusement le dissiper, Corsu et Blouse étaient perdus, Gote s'en foutait. Blond, assis sur une chaise au milieu de la cour, ne chantait pas.
-" J'ai pas envie."
Bah voyons.

Blond, y'a pas grand chose qui l'intéresse à part faire l'asocial et lancer des vannes sordides à tout le monde, ce n'est plus un scoop pour personne.
-" Je plains le jour où tu devras porter en ton ventre un enfant."
-" Heu...plait-il?"
-" Vu le cambré que tu as, et la pression du poids d'un bébé vers l'avant, tu vas vraiment t'exploser le dos..."
-" Maiheuuu, pourquoi tu dis ça? Il te plait pas mon cambré?"
-"J'ai pas dit ça."
-"Ah....il te plait alors."
-" Oh que si, c'est vraiment très sexy."
Ah merde.
-«  D’ailleurs t’as pas de taille, c’est ahurissant ! La dernière fois en cours je regardais ton ventre pour voir comment tu prenais ton air et il bougeait pas, on aurait dit que tu respirais jamais….m’enfin j’avais l’impression de te mater alors j’ai pas regardé longtemps… »

Le groupe de répétition de la chorale s'arrête de casser les oreilles des personnes étudiant en salle ayant la fenêtre ouverte, pour aller au dernier cours de la journée ensoleillée, celui de Théorie de la Musique Tonale. Sur le chemin menant à la classe, Blond m'accoste.
-" Au fait, je viens de commencer à t'écrire ma partition."
-" Un morceau de ta composition?"
-" Bon, tu verras, c'est le premier truc que j'ai fait ça pue la merde mais bon, c'était le plus facile à recopier...tu pourras le jouer, comme ça."
-" J'aimerais bien, oui."
-" Puis faudra que tu m'en files un que t'as fait, aussi."
On verra. Pas facile d'écrire la musique moderne pour moi. Mais si c'est lui qui me le demande...

Le prof n'arrive pas. On a chaud dans le couloir. Blond et moi, on ne se quitte pas d'une semelle. Même si on sent pas bon la transpiration.
-" J'ai envie de me casser sur le champ."
-" J'ai pas non plus vraiment très envie d'aller en cours, là...puis il est tard.
On le fait?"
-" On fait quoi?"
-"Bah on y va pas!"
-"Moi si j'y vais pas, je rentre chez moi direct!"
-"Ptain, mais t'es pas un marrant, sérieux!"
-"Pfff, tu veux qu'on fasse quoi, qu'on se roule de gros patins au milieu du couloir?"
Pas eu le temps de faire des maiheus et autres râles de protestation, le prof s'immisçant entre nous pour ouvrir la salle.
Tirage de tronche.

 
A la fin de l’heure, on s’est retrouvés devant la classe à pas savoir quoi faire sinon se dire au revoir.
-« Tu t’en vas tout de suite ? Tu veux pas rester un peu ? »
-« Non, j’ai mon bus dans une demi heure, le temps que j’y aille…mais tu peux m’accompagner, si tu veux. »
Ouais mais ça fait vraiment morfale si je fais ça…

Tant pis, chuis à bout, de toute façon. Alors un peu plus un peu moins…

C’est comme ça que je l’ai suivi, à marcher dans les petits chemins de raccourcis ensoleillés avec plein de bébêtes qui se collent à ta figure. On s’éloignait de mon arrêt de bus à moi, qui était complètement à l’opposé mais à quoi bon, j’aurais fait n’importe quoi, même me perdre pour lui. Il ne le savait pas bien sûr, peut-être s’en doutait-il.
-« Je crève la dalle.»
-« Ne parle pas à mon ventre de bouffe, il avait presque oublié… »
Blond met la main dans sa poche, compte sa monnaie.
-« Je suis riche, c’est ton jour de chance ! Allez, je te paye un bout de pizza ! »
Quelle gloire mes amis.

On s’assoit en attendant la graille, on se dévisage, des fois, on rit nerveusement. Il zieute sa montre, s’affole.
-« Faudra manger la pizza en route, on n’a plus le temps ! »
A ses ordres. On repart d’un pas pressé, il me dit.
-«  C’est marrant, mes deux meilleures amies (il fait avec ses mains le signe des guillemets) si je peux les nommer ainsi, s’appellent toutes les deux Dine ! Ca me perturbe… »
-«  Ah heuu…ah hen…oui. T’auras pas à confondre les prénoms, comme ça. »
Meilleure amie…..putain c’est nul ! On ne se parle vraiment que depuis deux semaines et il me considère déjà comme une amie proche alors que moi….moi…
Je le regarde, souris. Si seulement il savait. A quel point être sa meilleure amie ne me suffit pas.
Il me regarde à son tour puis soupire :
-« Bon, casse toi maintenant. »
-« ??? »
-«  Casse-toi, c’est bon, chuis presque arrivé ! Y’a plus de raison que tu restes ! »
-« !!! »
-« Allez, casse-toi, ou on fait plein de cochonneries ! »
-« Hein ? J’ai pas entendu. »
-« ….rien. »

On marche, j’ai fait style de pas entendre, et lui de pas comprendre. On raconte des sottises, au bout de la rue, je sais qu’il y a son arrêt. J’essaie de ralentir le pas, flâner près des vitrines des boutiques, on sait jamais, au cas où il oublierait qu’il a un bus à prendre. Il m’observe faire mine d’être ailleurs, et durant cette lente analyse visuelle, trouve à ajouter :
-« T’as un physique obligatoire pour la danse. Avec tes cheveux bouclés là, tu devrais faire du tango ou du flamenco, ça t’irait bien. »
Je mime les gestes. J’ai déjà fait de la danse autrefois. Classico- contemporaine, pendant 7/8 ans, je sais plus. Mais ça m’intrigue qu’il me parle de mon corps, comme ça. C’est qu’il y pense, d’une certaine façon.

On arrive enfin à destination, Blond regarde l’heure, se plaint qu’il l’a sûrement raté, son horaire. Oh zut alors, quel dommaaaage ! (hum…) Et dire que je me faisais une joie de le quitter ! Il fixe intensément la route, se raccrochant à un infime espoir, et tout en fixant lâche un subreptice :
-« Au fait, faudrait te dépêcher de sortir avoir Truc, c’est bientôt trop tard. »
-« Trop tard de quoi ? »
-« Ha, je sais pas. »
-« Comment ça tu sais pas ? Explique toi plus clairement ! »
-«  Tiens, mon bus ! »
Arf, il fuit, le fourbe. Je lui lance des regards de Saint Bernard, implorante. Bouh, reste, reste ! On n’a pas fini cette discussion !
Que nenni, il valide déjà son ticket.
-« Me regarde pas comme ça ! »
Bah oui mais bon. C’est pas ce que j’avais prévu. C’était pas dans mon plan machiavélique de séduction fatale, où il aurait dû courir descendre du véhicule pour mes beaux yeux. Mais je ne désespère pas, le bus n’est pas encore parti.

Je m’assoie, il me fait des coucous de la vitre qui nous sépare et s’éloigne peu à peu de ma vue. C’était pas prévu ça non plus.
Qu’importe, je réessayerai demain.