Les coïncidences ne s'arrêteront pas là. Quand le serveur se mit à chercher la table réservée à notre nom, il ne la trouva pas tout de suite. Normal, c'était la sienne.
C’est le délire, dîner à la table du chanteur. Pour l’appétit moins par contre.
Je n’ai pas réussi à manger. Je n’ai pas non plus réussi à sortir une phrase convenable en sa présence. J’avais juste envie qu’il s’en aille et nous laisse tranquille, à nos petites gamineries. Et puis, lorsqu’il parlait à ses voisines de gauche, je n’arrivais pas à m’empêcher d’écouter, de rire aux blagues, comme une malpropre. J’avais les yeux qui valsaient ailleurs parce qu’ils ne pouvaient se loger au creux des conversations et j’avais si peur qu’il se retourne avec un air de « et toi qu’est-ce que t’en penses ? ». Mon assiette était lamentablement pleine que je m’empressais déjà de fuir le repas lâcher ma frénésie dans la rue, ou sur de parfaits inconnus.
Sur les autres ah oui ça marchait. J’avais des sourires, des éclats de malice et des questions de principes à ces artistes qui voulaient bien l’entendre. Ils étaient nombreux ce soir là à désirer rendre visite à la même personne. Normal, vu le talent qu’elle a.
Evidemment, je me suis dit qu’il me regardait intensément dans le noir de la salle. Qu’il observait mes zygomatiques frétiller de plaisir à ces notes adressées à je ne sais laquelle. Je savais pourtant que l’obscurité recouvrait chacun des visages, mais j’espérais quand même que cela se transforme en vérité de l’instant.
Et puis à la fin du concert, après s’être tournés autour des heures sans parvenir à en conclure une seule phrase d’accroche, il a intercepté un de mes sourires à nos regards croisés, qu’il a saisi pour se déplacer jusqu’à moi.
-« Alors, ça va toujours ? »
-« Eh bien oui, comme tu vois. »
Grande tronche béate de gêne qui s’immisce entre les silences. J’articule des syllabes incertaines au possible, pour finalement céder à l’échec du malaise de ses yeux en face des miens :
-« Pffff, mais c’est que je ne sais pas quoi te dire.. »
-« Ah… »
Faudrait que vous puissiez voir sa tête d’autruche qui se rend compte que le sol est en béton et qu’il n’y a aucun moyen d’y enfouir ses sensations honteuses. Je me détourne et pose la main à mon visage un rire décontenancé avant d’ajouter :
-« Tu sais, en réalité je suis très timide…. »
-« Bah ça tombe mal parce que moi aussi… »
-« Ca me fait pas ça avec tout le monde hein, ça dépend des gens. Des fois ça sort tout seul super facile et puis à d’autres va savoir je suis complètement déstabilisée. »
-« Oui, c'est totalement ça ! » Me fit-il son regard soudain illuminé de son air soulagé empli de compassion.
-« Regarde tout à l’heure, tu mangeais à côté de moi, j’étais tellement perturbée que je n’ai pas pu finir mon assiette. »
-« Moi pareil. »
Moi pareil, qu’il me répond. Il n’a pas dû comprendre le sens réel de ces mots.
Toujours est-il qu’à un moment donné le peuple de disperse et je me retrouve seule au bar, auprès de nouveaux prénoms, moi et mon jus de poire on était pas des plus jouasses. Enfin, ça allait quand il ne rôdait pas dans le périmètre de sécurité, et je plains ses tentatives avortées d’insertion dans les discussions, pour la plupart de ses propres potes en plus, autant fallait-il que je n’y sois pas pour plomber l’ambiance, car dès lors qu’il s’avançait, c’était le silence, totalement communicatif, et on n’avait plus qu’à se regarder tous comme des cons jusqu’à ce que le premier fasse l’effort d’aller voir ailleurs si on y était aussi bref. Mon cœur explosait légèrement, en mode sourdine, et l’air n’était plus si irrespirable. Cette fois-ci malgré mes bourdes infinitésimales mon corps supportait les chocs thermiques et peu à peu je m’habituais à sa présence. Mais c’est surement juste le fait d’apprendre par un autre qu’il avait une copine qui m’a fait redescendre degré par degré sur Terre jusqu’à recouvrer une température à peu près supportable.
Ce n’est finalement qu’une fois le troquet pratiquement vidé que nos langues ont pu se délier de leur réserve et oser se lancer à s’ouvrir mutuellement les trappes à pudeur. La patience paie, on a bien dû parler une heure et demie. Et j’étais heureuse qu’il se confie à moi. J’ai pu lui avouer, même si ce sont des choses qui d’ordinaire ne se demandent pas, que je désirais chanter pour lui et derrière lui s’il le faut. On m’avait dit que sa timidité excessive le poussait régulièrement à refuser les offres spontanées de collaborations. Eh bien, pour cette fois, il n’a pas refusé.
Je faisais quand même bien tâche au milieu de ce groupe d’intellos de la culture musicale qui se fréquentaient tous depuis vingt ans à cheval des soirées parisiennes. Tant pis, c’était mon problème. Mon challenge à moi. Il a récupéré mon adresse pour m’envoyer son album de jeunesse et il dessinait ses hommes beaux dans l’âge juste à côté de moi, sur la même feuille. Quand je me suis approchée lui dire « à pas bientôt » et lui faire la bise il a joué du poisson qui oscille entre la droite et la gauche si bien qu’on aurait presque pu s’embrasser pile entre. Il ne restait plus que moi avant que le commerce ne ferme, mais c’est que j’ai l’impression que ce n’est pas près de s’arrêter et pour encore un temps.
Et puis.
Traverser Paris by night en noctilien seule à trois heures du matin, la ville n’a jamais été aussi belle que lorsque les étoiles du ciel se sont subtilisées d’elles-mêmes jusqu’au bord de mes yeux.
Commentaires :
Re:
Et quand il ne pleut pas, la ville a un autre charme.
Re:
(je me suis permis de corriger tes fautes, hein)
(d'ailleurs cela dit, moi aussi je pourrais te faire dire n'importe quoi, on est plus à ça près)
Songe