Je ne sais pas pourquoi je t’ai repoussé, ce mercredi après-midi, assis sur l’herbe humide. J’en avais envie. Je l’avais imaginé dans ce même sursaut et pourtant, je n’ai pas voulu mettre en forme les idées valseuses. On a fini par rebrousser chemin, et tout le long du trajet, j’avais envie de te tenir la main. Des pensées qui n’ont pas vraiment de sens sorties du contexte. Des désirs inutiles. Inachevés.
Et puis toi, flanchant et gêné, tu utilisais le mot « angry » mais j’y aurais plutôt vu « disappointed » . Les hommes sont indécis et imprécis, je disais.
Je me trompais sur un cas.
Tu as eu besoin de me le rappeler le soir, à deux heures du matin :
-« Demain, tu viens m’écouter jouer, hein ? J’ai vraiment envie que tu sois là. Vraiment. »
Manuel, je serais venue, dans tous les cas. Parce que quelqu’un avec ton esprit qui pose ses propres morceaux au piano, ça doit emmener quelque part loin, bien plus loin que n’importe quel voyage. Et je ne me trompais pas.
Je me suis sentie tellement minuscule à tes côtés. Si petite, mais si bien. Tes doigts s’articulaient et c’était le brouillard complet, un brouillard mélodique et rythmique totalement maîtrisé par tes sens. C’était incroyable, c’était un bien être déstabilisant, presque aveuglant, c’était se délecter de quelque chose d’étranger à notre regard et à notre écoute. C’étaient tes doigts. Les doigts de Manuel. L’homme qui dormait sur ce balcon pluvieux, qui l’eut cru ? Entre Telonious Monk et Debussy, tu ne m’avais pas menti, comme j’aurais voulu être silencieuse et invisible…. Les hommes sont indécis et imprécis, mais tes mains, sur le piano, elles volent. Elles sont si légères, elles flottent au dessus des touches, et pourtant les molestent avec force, elles sont des cris au bout de chaque doigt, et des refuges de paix entre chaque paume, elles font la pluie et le beau temps, parce qu’elles savent se mouvoir en osmose avec tes ressentis, elles sont sensibles parce que tu es sensible, et elle sont gracieuses je ne sais pas pourquoi, elles sont des entités qui se détachent de ton corps, des entités qui ont choisi de te servir parce qu’elles te respectent.
Ou peut-être est-ce ta musique.
Le temps de quelques chansons, j’ai été amoureuse. Je voulais tant être sous tes mains. J’avais envie qu’avec elles, tu me façonnes et m’inventes. J’aurais tellement voulu.
Mais lorsqu’on est rentré pour la dernière fois, nos pas s’écartaient l’un de l’autre, et pendant que tes pieds s’avançaient tout seul, tu m’as confié que notre lien, tu ne le voyais plus que bleu. Peut-être que quelque chose est parti quand on s’est vraiment rencontrés, alors. Et pendant que je regardais le temps se barrer sans moi, tu m’as dit que j’avais de jolis yeux. C’est marrant. C’est peut-être le dernier compliment que l’on trouve à me faire, d’habitude. Ou peut-être qu’on n’y pense tout simplement pas. Tu m’as dit que mes yeux, c’étaient des étendues d’eaux, ou des puits, je n’ai pas très bien compris le sens, à part que ça te donnait envie de plonger. Mes yeux…pffff, si t’avais vu les tiens.
Tu chantais en marchant.
-« On chante quand on est heureux, non ? »
Mais la fille, la vraie, pour qui tu étais tombé amoureux, elle t’avait appelé hier. Pour te dire qu’elle était partie avec un autre. Quand tu m’as raconté ça, la figure à moitié dépitée, j’ai compris le sens de ton coup de fil de la veille, à deux heures du matin. Je mangeais une glace en même temps, j’avais du mal à articuler les mots alors tu parlais à ma place. Et tu chantais. Et tu n’étais plus le Manuel du balcon pluvieux.
On s’est quittés comme si on allait se revoir le lendemain. Tu m’as encore offert un baiser sur chaque joue sans que j’aie pu effleurer les tiennes. Je voulais te serrer dans mes bras. Nos corps ont pris une direction opposée et je voulais encore te serrer fort contre moi, et te dire qu’elle ne t’a pas compris et qu’elle ne te méritait pas. Et que moi, j’aurais voulu. Si seulement j’avais habité un univers différent…
Nos corps ont pris une direction opposée et ont tracé sous la grande allée d’arches. J’ai bien tenté de me retourner en pensant « s’il me regarde lui aussi, c’est décidé, je lui saute au cou », mais je t’avais déjà fondu dans la masse, incapable de te retrouver parmi les êtres sans valeur.
Alors, Manuel, j’ai pensé que peut-être il y aurait encore un coup du destin. Parce que je n’ai pas vraiment eu le temps de te dire au revoir. Et ne pas soigner ses au revoir, c’est un peu les laisser aller à ce qu’ils veulent.
Ne pas soigner ses au revoir, c’est un peu les transformer en un adieu.
Commentaires :
Re:
J'ai du mal à regarder mes mots. Et les choses que tu dis, je ne les vois pas. Moi je suis toujours restée bloquée sur les premiers articles, avec des mots tout simples. Des mots tout pateaux, qui décrivaient quelque chose de si fort. J'ai l'impression qu'avec les mots de maintenant j'écris en demi teinte, en à peu près de la sensation, en quelque chose de pas vraiment réel. Mais tu me dis qu'ils sont plus justes. Et si tu me dis qu'ils sont plus justes, je te crois.
Ce n'est qu'un au revoir, Ryne...
Il m'a dit que j'avais des beaux yeux, et c'est bien la dernière chose qu'on me dit. Et lui il a des yeux vert bleu magnifique.
=)
Pi j'aime bien tes textes quand c'est dans le présent (oui j'me répète)
Re:
Mes textes dans le présent, il risque de plus y en avoir beaucoup....faut absolument que je rattrappe le reste, bordel! Mais bon, ça fait quand même plaisir!!!
Bisous bisous!
ryne
Tes mots m'impressionnent de plus en plus. C'est comme s'ils etaient bien plus juste qu'au debut. Ils en disent plus, bizarrement.
Adieu alors.