Ecrit le 01.07.08 à 01h00
Mes épaules me font encore mal qu’il m’ait serré trop fort.
C’est comme si j’avais des bleus invisibles. La zone est depuis, toujours endommagée.
Il aurait pu me le dire de cette façon là, peut-être. Avec des métaphores plus ou moins imagées.
Lorsque j’ai dû rentrer chez Poubelle, et lui prendre son vol pour l’Allemagne, nos voitures se sont croisées et il m’a crié de jolis mots à travers la vitre. Moi, derrière la mienne, j’ai dû dire aux autres :
-« C’est con que je comprenne rien, quand même. »
Ils ont ri.
Nous n’avions pas le même langage. Il était Brésilien. On se comprenait par les gestes, les mains qui expliquent les phrases, les sonorités proches, les expressions qui se ressemblent.
Je ne sais pas comment c’est arrivé. Il y avait cette fête sur la plage, moi je voulais juste voir Poubelle, et je me suis retrouvée là bas devant tous ces maîtres capoeiristes, à danser comme ça venait, à apprendre le forro, à tourner, tourner, jusqu’à en avoir mal à la tête. Mais le jeu des percussions me donnait vraiment envie de rester debout. A un moment donné, il y eut bien un moment de répit. Alors Poubelle et moi, on est allées marcher sur le sable. On s’est tapées des trips bizarres, à s’écrouler de rire sur le sol en remettant en scène les feux de l’amour à la portugaise. On donnait des noms débiles qui finissaient toujours par a ou par o, notre délire cliché se stoppant net quand toutes les deux, on l’a vu se déshabiller pour plonger dans l’eau. Là, on s’est dit qu’on aurait plutôt dû faire le remake d’alerte à malibu. Ca nous aurait au moins servi à quelque chose.
Il était vraiment charmant. Il respirait l’exotisme. On ne lui donnait pas vraiment d’âge et puis, il avait l’air d’être de ce rang d’attirance supérieure, de ces gens que l’on n’ose pas approcher. A penser qu’on n’a pas sa chance.
En fait, je crois que je suis arrivée au moment où il était en train de se changer. Je suis allée récupérer la bouteille d’eau dans le sac de Nils, et il s’est caché derrière les djembes, l’air semi gêné. Je n’ai pas compris, au début, alors je lui ai souri comme pour lui dire « ça restera entre nous ». Mais il s’est relevé et m’a demandé mon prénom.
C’est parti de là. Les gens venaient lui parler et il les serrait dans ses bras tout en me signifiant, ne t’en vas pas, ne t’en vas pas. Alors j’attendais à côté, sans vraiment savoir pourquoi. Il était en France pour faire des représentations de capoeira. Il vivait ici grâce à la musique et la danse, mais au Brésil, il faisait du théâtre. Je lui demandais toujours « tu comprends quand je parle ? » et il me répondait « oui, parce que tu es très expressive, tu parles de la même manière que tu danses » avec ses propres mots. C’était la première fois qu’on me faisait ce genre de compliment. Même si on arrivait à s’entendre, très vite, pour les choses plus profondes, on était à court d’idées, de façon de traduire. Il s’en allait en Allemagne dans quelques heures, c’était sa dernière soirée. C’est sûrement pour ça d’ailleurs, quand j’y repense. Je suis partie en lui disant que quand il reviendrait, on s’enseignerait nos langues respectives. Je lui ai fait un signe de la main et suis retournée danser.
C’était le maître qui chantait. Quel honneur. On était en cercle et la nuit était belle. Poubelle elle, était consternée. « Mais dans des moments comme ça, faut que t’arrêtes trente secondes de tourner autour du pot et que tu passes à la vitesse supérieure, fais parler ton langage corporel bordel ! ». Elle, elle voudrait sauter toutes les étapes. Aller droit au but. Moi, je laisse faire les choses. Je tourne sur moi-même en entendant les gens chanter. Ca me permet de faire le vide. J’ai fermé les yeux et ai écouté mon rythme intérieur. Je ne sais pas combien de temps je les ai fermé, mais lorsque je les ai rouvert, il était derrière moi. Il m’a adressé la parole, mais c’étaient des termes bien trop compliqués pour mon niveau de compréhension. Alors quand je lui ai demandé de répéter, il a soupiré et m’a serré dans ses bras. Il a commencé à m’embrasser, je crois que je ne lui ai pas résisté longtemps. Je ne sais pas s’il s’était entretenu avec Poubelle juste avant mais le langage du corps, il avait l’air de bien maîtriser. Il me respirait sans cesse. Quand il s’en allait, il revenait sur ses pas pour me respirer. C’était bizarre. Si je m’étais posée des questions en cet instant précis, j’aurais sûrement demandé « pourquoi moi ? ». C’est vrai, il y en avait plein des filles jolies et compréhensives à cette soirée, il aurait pu aller voir n’importe qui. Les circonstances feront que parfois, il n’y a qu’un chemin je crois. Qu’il concorde souvent avec nos pensées profondes, si elles sont dans le juste ou pas. Moi, c’est juste qu’à cette soirée, je ne pensais à rien callée dans les rochers.
Les heures d’après, il les a passé à revenir vers moi. A me sentir. Il était de plus en plus doux et me serrait de plus en plus longtemps contre lui. Il passait du temps à me regarder dans les yeux. Peut-être parce que c’était l’heure de partir. J’avais l’impression de vivre un passage irréaliste de ma vie. Il était tombé du ciel et s’en allait d’un coup de vent.
Il est ressorti de la voiture trois fois pour me dire au revoir et me sentir. La dernière fois, il est allé arracher un bout de carton dans la rue pour noter mon adresse mail. Il m’a promis qu’il m’écrirait. Seulement, si c’est en portugais, je ne comprendrai sans doute rien.
Lors de notre dernière étreinte, il m’a déclaré quelque chose comme « si je pouvais, je te prendrais sur mon dos et t’emmènerais avec moi. ». Je ne sais pas s’il le dit à toutes les autres mais à moi, ça a touché le cœur.
C’est juste que. Je n’ai pas aimé l’apprendre de cette manière.
J’aurais quand même voulu l’entendre de sa bouche.
J’aurais préféré qu’il m’avoue de lui-même qu’il…
Commentaires :
Re:
Le langage corporel, ce n'est pas habituellement ce que je préconise en premier. Surtout compte tenu des circonstances de la soirée, et de ce que j'ai appris juste après. Mais bon, c'est comme ça. La pudeur m'empêche d'en parler.
Merci à toi d'être venue. C'est toujours réconfortant d'être lue par quelqu'un.
Repasse quand tu veux!
Re:
Par langage corporal, je parlais surtout de tendresse. Une main qui s'attarde sur une épaule, un buste qu'on penche un peu en avant pour l'écouter mieux, un sourire qui s'ouvre à la vue de l'autre, et les yeux qui s'écarquillent. Ce genre de détails.
Merci d'être passée chez moi et d'y avoir posé quelques mots
Re:
Awui, la tendresse. Mais elle est traître, la tendresse. Elle te fait croire plein de choses. Au final, tu sais jamais si elle te promet des merveilles ou si elle te promet juste rien. Alors oui, t'as juste qu'à pas y penser, qu'à profiter. Parce que c'est beau.
Parfois, quand on attend rien ou tellement plus, on arrive à se contenter de ça.
Mais Dine. Tu me touches. Ces histoires touchent comme si on pouvait les voir les lire les vivre nous -mêmes. Ca me fait rêver. Tu es celle qui embellit ces instants là. Ceux qu'on ne revivra pas. Tu crois qu'on pourra garder autant de magie dans toute une vie?
Re:
C'est marrant que ce texte ait touché. Parce qu'en réalité.
Ce n'était pas une jolie histoire.
Quelque chose que je ne souhaite à personne.
bluedragonfly
Larmes aux yeux...
Parce que tu m'as fait penser un peu à mon histoire. A moi qui veux toujours brûler les étapes, à elle qui tourne autour du pot. Et même en parlant la même langue, parfois on ne se comprend pas. Alors le langage corporel, oui, c'est souvent le meilleur...
Merci pour ces quelques lignes