Ecrit le 31.07.08 à 03h15
On a continué à s’embrasser, moi dans le train, lui sur les marches, un moment en équilibre tout comme nos deux corps qui ne savaient pas vraiment où se poser. Dedans, dehors. Ce sont des décisions que l’on doit prendre vite. Manuel. Tu m’as regardé avec tes yeux de fous et tu as dit « je suis ému », tu l’as dit en français. Puis tu es descendu sur le quai et tu es parti sans te retourner. Sans te retourner, parce que je ne t’ai pas quitté un seul instant du regard, espérant que tu le fasses. J’aurais voulu que tu reviennes m’étreindre encore.
Après tout, c’était peut-être la dernière fois.
Cette nuit là, à quelques heures du départ, on s’est disputés. Tu étais allongé sur le lit, et tu décomptais le temps, annonçais à haute voix les minutes restantes, tu étais amer. Lorsque je me suis assise près de toi, tu ne voulais même plus m’adresser la parole. Alors, j’ai commencé :
-« C’est ce genre de souvenirs que tu veux placer sur nos dernières minutes ? »
Tu as alors répondu :
-« Tu ne penses qu’à toi. »
-« Tu passes trois heures entières à faire ta valise et les cinq minutes qui restent, tu voudrais venir vers moi et qu’on joue des violons pour se dire adieu ? »
En français, en anglais ou en italien, les mots viennent tout seul lorsqu’on ressent un peu trop. Ce devrait pourtant être le contraire. Parfois seulement, le temps qu’on prend à les formuler nous permet de faire redescendre la pression.
-« Je ne veux pas avoir à faire cela. Je ne veux pas d’un adieu. Ni même d’un au revoir. J’aimerais qu’on soit heureux comme d’habitude et qu’on ait juste à se dire : à tout à l’heure ! Je l’évite. Parce qu’en moi, j’ai le sentiment que plus on passera du temps à se dire adieu, plus on mettra du notre pour que ce soit réussi….plus se sera définitif et alors tu pourras juste te contenter de ça. Et moi je ne veux pas que l’on réussisse nos adieux. Je veux que l’on se revoie, je veux que tu aies envie de venir dans ma ville en septembre comme tu me l’as promis, parce qu’on ne se sera rien dit avant de partir. Parce qu’on savait que se séparer maintenant ce n’était pas grave, juste un à tout à l’heure. J’ai vraiment envie que tu viennes. »
Je lui ai déballé tout ça d’un coup d’un seul, et pendant que je parlais il s’est mis à sourire. Je ne sais pas ce qu’il a compris ou retenu de tout ça mais il m’a demandé un « besio » et serré dans ses bras très fort.
-« Dine dine dine, tu vas me manquer. »
Il a ensuite enfilé une veste. Je crois que dans d’autres dénouements, il ne m’aurait pas accompagné à la gare.
Sur le chemin, il a discuté de ma ville avec le chauffeur, il lui a posé des questions sur le coût de la vie et les moyens de s’y rendre en italien. Peut-être qu’à cet instant précis, il a vraiment eu envie de savoir. Le dernier jour, c’est mieux que rien.
Je n’aime pas le mot « dernier » quand il concerne Manuel.
Je sais qu’il a obligatoirement plus de sens ou de valeur qu’avec tous les autres. Parce que c’est le résultat le plus logique de notre relation, celui qui permettrait à chacun de nous de ne pas faire d’efforts. C’est presque aller à l’encontre des choses que de désirer se revoir.
Parce qu’on est pas fait pour ça.
C’est déjà un miracle, un pied de nez à la vie que d’avoir pu un an plus tard se rencontrer à nouveau. Deux miracles pour une même histoire c’est peut-être trop demander.
Mais si jamais, allez savoir, il restait une chance…
Si jamais « dernier » n’était pas vraiment « dernier », mais juste un « pas avant longtemps » ?
Après tout, on ne s’est finalement pas dit adieu sur le quai. Pas plus qu’on ne s’est dit au revoir, ni même à tout à l’heure. On s’est juste rien dit.
Parce qu’on a envie d’y croire encore un peu.
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