J’ai fait un rêve étrange ce matin, entre deux sonneries (et plus si affinité) de réveil. Dans la sensation. Le déroulement de son histoire était triste et étonnamment beau, oserais-je dire un peu romantique aussi. Une expérience à vivre. Enfin, vivre -quand vous saurez de quoi il s’agit- n’est pas forcément le mot approprié. Je me suis réveillée je me sentais quelqu’un d’autre, je veux dire, quelqu’un de plus âgé. Alors voilà.
Je ne me rappelle plus comment j’ai fait pour atterrir dans ce vieil immeuble. Il y avait pas mal de rues fleuries et bordées d’arcs sur le chemin et j’ai beaucoup marché. J’ai monté ces escaliers rouge brique. Deuxième étage, je crois. Je suis rentrée dans cet appartement, je ne sais plus trop bien pourquoi. Peut-être pour une réunion. Il y avait quelques personnes, toutes inconnues de ma réalité, et la maison était à certains endroits agencée comme celui de ma tante défunte, souvenirs.
J’ai rencontré ce type dans la pièce de la photocopieuse, de la taille d’un débarras. Il était blond et devait avoir peut-être la trentaine, peut-être moins. Ou plus. Il ressemblait à ce gars de mon rêve de la veille que j’aimais bien et réciproquement, mais avec qui je m’étais disputée juste avant de me réveiller. J’ai un peu parlé avec lui, il était, comme médecin. Il connaissait bien le corps humain. Je suis sortie de la salle, ai adressé la parole à d’autres gens. Ils étaient tous plus âgés. Et pendant que j’échangeais quelques mots avec l’un, assis tous deux confortablement l’un en face de l’autre, ses yeux se sont révulsés. Il était mort.
Ca ne m’affole pas, peut-être m’avait-on déjà prévenue. Lorsque je vais alerter ce « médecin » pour qu’il le confirme de son diagnostic. Il me dit que c’était prévu. Qu’il y a ici dans cet appartement pas mal de personnes dans son cas. Cet homme par exemple, grand, à la fin de sa quarantaine, lui aussi, il va mourir bientôt. On ne sait pas précisément quand, rien ne nous permet d’établir à la seconde près ce genre de choses. Je pose des questions sur la cause de tout ça. Le médecin me répond calmement, il est habitué à voir ces gens disparaître. C’est comme une espèce de maladie de cœur, y’a pas vraiment de symptômes mais c’est là, il s’arrête peu à peu de battre. On est trois dans cette petit salle, lui moi et le type de la quarantaine. Je pose la question à ce dernier, ça ne te dérange pas de le savoir ? Ca ne t’affole pas ? Il me sourit et plaisante. Je demande alors au médecin occupé à faire ses photocopies de m’ausculter moi aussi. Il regarde mon cœur. Il me dit, toi aussi tu vas mourir bientôt. Dans quelques minutes peut-être. Quand il prononce ces mots, l’homme à côté appuyé contre le mur fait "Ah" comme pour nous prévenir que ça y est, ça vient. Ses jambes s’affaissent un peu, sa tête remonte, ses yeux font un trajet bizarre avant de se bloquer dans une direction. J’ai pas besoin de demander confirmation à qui que ce soit, il vient de décéder lui aussi devant moi. Je suis persuadée d’être la prochaine.
Je me sens, comme acculée. On vient de me faire un ultimatum, sauf qu’il n’y a qu’un seul choix possible. Ca y est, c’est fini alors. C’est comme ça. J’essaie de relativiser. De toute façon je vais y passer alors, autant rester concentrée. Après tout, on ne meurt qu’une fois. Il faut en profiter. Voir ce que ça fait, les sensations, je ne veux pas rater ma mort. Je déambule dans l’appartement. Je marche d’une pièce à l’autre. Je sens mon cœur qui peu à peu se comprime, mais ça ne fait pas mal. Juste un vide qui s’agrandit, comme si l’air ne circulait plus en mon être, comme si. J’étais en train de m’éteindre. Me rigidifier de l’intérieur. Je me dis que c’est peut-être juste psychologique, après tout ce qu’on m’a annoncé ce serait normal. Non non et non je continue à marcher. Marcher c’est la preuve qu’on est vivant encore. Je me sens fatiguée, un gros coup de barre. Je m’assois quelques secondes dans la chambre du fond, sur le lit pourpre. Je suis en train de m’endormir, peut-être pour toujours. Non non non il faut que je garde les yeux ouverts.
Là, je crois que mes yeux, à ce moment précis du rêve, s’ouvrent sur la réalité. Je suis dans mon lit. J’essaie d’écarquiller mes yeux mais j’y arrive pas, ils se ferment tout seul, alors je force, je lutte pour ne pas perdre conscience. Je fixe le plafond, la fenêtre de ma chambre qui fait entrer le soleil et là petit à petit je vois des formes. A la manière des vaisseaux sanguins qui éclatent devant ta rétine (enfin je dis n’importe quoi je suis pas scientifique hein), ce sont le même genre d’assemblages. Au début il n’y en a qu’un que je suis du regard. Il bouge, au fur et à mesure change de dessin et prend la forme maladroite d’un papillon. Le papillon file de droite à gauche, ce sont mes yeux qui n’arrivent pas à rester fixes. Et puis, sur le côté extrême droit, j’en aperçois un autre, bien mieux modélisé. Il bat des ailes et avance vers la gauche, suivi d’un autre, et puis encore un, et bientôt une multitude de papillons s’accapare ma vision et mon paysage oculaire. Ca y est, je me dis. Je commence à délirer, je suis en train de mourir.
Mais à quoi tu penses, Dine ? Ca te va ? Ca te satisfait ? Ca te convient ?
Qu’est-ce que tu as fait de ta vie ? Il est où ton accomplissement ?
Je ne veux pas quitter
Retour dans l’appartement, je me lève du lit pourpre malgré cette énorme envie de dormir et m’affaler à chaque instant sur le sol et vais parler au médecin toujours attelé à la photocopieuse. Je lui dis, je ne veux pas. Je ne veux pas mourir ! Je refuse. Il me regarde avec compassion et me répond le sourire navré quelque chose comme. Mais ce n’est pas toi qui décides. Malheureusement. Il me confie. Ne te pollue pas de rancœur et de regret. Ton dernier sentiment est celui qui reste ancré quand tu passes d’un monde à l’autre alors, ne soit pas énervée, ne pense pas que c’est injuste. C’est simplement comme ça.
Je me sens inconsolable. Je suis résignée. Je demande à cet être blond que j’appelle médecin depuis le début une faveur. S’il te plait, reste avec moi jusqu’à la fin. Ne me laisse pas m’éteindre toute seule dans ce lieu que je ne connais pas. Accompagne-moi. Il me donne sa parole. Alors j’ose lui demander une faveur supplémentaire.
J’aimerais qu’il m’accorde une dernière danse. Je suis sûre que mourir en dansant, ce n’est presque pas mourir. Parce qu’on tourne, on tourne et on ne voit pas le temps passer. On est tous les deux dans le hall d’entrée ou dans le salon je ne sais plus très bien, il prend ma main et me guide. On bouge lentement. J’aurais pu tomber amoureuse de ce type tellement ce lien était fort. Mais ce n’était pas ça. C’était chaleureux, réconfortant, bienveillant et empli d’un amour pieux. C’était littéralement mon ange gardien. Il veillait sur moi et essayait de rendre mes derniers instants paisibles. Je croisais son regard et soudain je n’étais plus triste ou affolée par la suite, je me sentais prête. On a dansé ensemble pendant de longues minutes, le temps suffisant à ce que je me soulage l’esprit. Et puis je suis allée faire un tour dehors pour prendre l’air. Pas longtemps. Quand je suis retournée dans la cage d’escalier et ai monté les marches du second étage, j’ai posé mon oreille contre la porte d’entrée, un cours de chant était en train d’être exposé. Tiens, j’ai du me tromper de porte ou d’étage. Mais non. Impossible de retrouver l’appartement de mon médecin blond. Des gens descendent les escaliers. Je reconnais Nero mon contrebassiste et un ami à lui parmi le groupe. Je les questionne, il n’y avait pas un médecin à cette porte d’ordinaire ?
-"Non, c’est le local à Mme Untel prof de chant, mais comme elle n’y vient qu’à partir de 17h pour ses cours, elle le loue aux particuliers avant cet horaire."
-"Oh, alors c’était ça. Mais pourquoi vous êtes ici vous ?"
-"Eh bien il y a un récital qui se donne au rez-de-chaussée, avec Nero on avait prévu de passer écouter. Et toi ?"
-"Oh, moi, j’avais prévu de mourir."
-"De mourir ?"
-"De mourir, ça aurait du se faire il y a maintenant un jour et demi de ça."
-"Tu es en retard sur ta mort, alors !"
Et à moi de penser. Peut-être même que je ne mourrai pas.
Je me réveille.
Commentaires :
Re:
Je te répondrai chez toi à l'occasion aussi.
Mais sincèrement, continue d'écrire.
En plein milieu de ton papier, une série de petites phrases à la teneur tellement réaliste semble révèler la pleine consciente de l’instant où elles ont été écrites. Petites phrases qui à mon avis, sont aussi au coeur de ton état d’âme qui a suscité ce rêve :
"Qu’est-ce que tu as fait de ta vie ? Il est où ton accomplissement ?
Je ne veux pas quitter la Terre à 22 ans ! Je n’ai pas eu le temps de faire ce pourquoi je suis programmée, j’ai plein de desseins, de projets, de rêves, je ne veux pas, c’est pas mon heure, je le sais, je suis trop jeune, je suis pleine de ressources, j’ai une grande vie qui m’attend !"
Dine, si tu as 22 ans, tu es en plein dans l’âge des grandes réflexions et des grandes décisions (ça dure quand même quelques années). Sans que tu en aies l’air, on a l’impression aussi que tu fonctionnes à plein régime. La nécessité de gérer ta personnalité avec la sensibilité et la soif de sincérité que l’on te connaît laisse deviner une angoisse bien compréhensible.
Les questions de la mort t’occupents l’esprit, peut-être sont-elles provoquées par le souvenir de cette "tante défunte". A ces questions s’ajoutent d’autres questions sur la vie. Toute une série de mystères qui te semblent inquiétants, qui ne sont pas élucidés mais que tu veux élucider.
Finalement c’est un peu dans la maison de l’élucidation que tu te rends, dans ce vieil immeuble. On verra bien ! sembles-tu penser. Pour y arriver, ça a pris du temps, mais du bon temps grâce à ton art et tes chansons, (les rues fleuries et bordées d’arc). Tu as "beaucoup marché", tu as déjà acquis une certaine expérience de la vie. Les arcs expriment un accès vers quelque chose de grandiose et de profond. En montant les escaliers, tel un être béni, tu accèdes encore plus vers les niveaux supérieurs, vers le haut où se trouve symboliquement la vie. Là tu apprends que cet endroit sent la mort. C’est qu’il te faut encore comprendre. (Ta tante défunte était sûrement croyante).
Dis-toi que tout ce qui se passe là, si ça se passait à la cave, ce serait pire, l’explication serait alors négative, tandis qu’à ce niveau, l’explication est positive.
La rencontre du type de trente ans, blond (blond je ne sais pas pourquoi) dans une toute petite pièce, est essentielle (l’étroitesse de la pièce marque son humilité). Il est médecin, il est celui qui connaît des secrets et qui guérit, il sauve peut-être des vies humaines, il sauve peut-être de la mort... (il s’impose comme personnage principal). D’autres personnages plus âgés sont là, ce sont des gens qui ont un vécu, qui ont donc des choses à dire, des adultes : est-ce que les adultes savent ? Non ! la preuve , l’un de ceux-ci meurt. Les autres suivront....
C’est pas grave faut en parler au type blond le médecin. Et le médecin confirme qu’il sait. D’autres plus âgés confirment à nouveau qu’ils savent. C’est ici l’angoisse de celle qui rêve : tout le monde sait sauf elle ! Mais l’angoisse s’accentue parce que ces gens plus âgés meurent tous. Le médecin explique qu’ils meurent parce que le,coeur s’arrête de battre. C’est déjà une explication. Un pas en avant.
La suite est un réconfort, une réponse à l’angoisse. Une réponse à la question de la mort inéluctable. Quand l’air vient à manquer comme dans une petite pièce (celle de la photocopieuse). C’est dans cette petite pièce qu’est le médecin, celui qui aide, qui explique par A+B (les photocopies) et qui sauve peut-être. Mais celle qui rêve ne se rend pas dans cet endroit, elle n’est pas encore prête, alors elle marche encore (comme au début), "elle déambule", elle cherche... Elle amasse son vécu.
Finalement, après un certain temps (jours, mois, années) et à un moment donné, le moment de mourir est là : elle n’est plus debout, elle est couchée. Comme pour l’individu au début dont "les yeux se sont révulsés", c’est à son tour de mourir. Cela se passe dans les yeux. Et qu’est-ce qu’elle voit ? des papillons* ! Elle prend cette vision pour du délire. Parce qu’elle ne comprend pas encore.
Enfin, peut-être grâce à sa détérmination, elle ne se laisse pas aller, elle refuse de rester dans cette position de mourante, de perdante, elle prend son courage à deux mains, se met debout malgré la grande fatigue et marche. Elle quitte le lit "pourpre" (un endroit royal) et décide enfin d’aller trouver le médecin dans la toute petite salle de la photocopieuse. Elle lui parle et lui expose sa critique, son refus de la mort. Il lui dit qu’il faut mourir, c’est comme ça. En fait le médecin n’a pas d’explication, il ne peut rien faire, sa seule aide reste d’offrir sa présence et son sourire. Il n’est qu’accompagnateur. Ce qui est mieux que rien. Dans sa solitude, Dine est preneuse et on la retrouve avec des passions amoureuses, des amours platoniques avec ce genre de personnage un peu céleste.
La fin nous conduit peu à peu vers une réalité plus terre à terre. Tandis que Dine monte en direction du deuxième étage pour rechercher à nouveau l’appartement de son médecin blond, elle ne le trouve pas, elle croise des gens qui descendent, dont Nero son ami. Le drame est ici, parce que tous ces gens qui descendent vont à l’opposé de Dine, qui elle, monte. Si elle "est retard sur la mort", c’est qu’elle y gagne "en vie". C’est ça le message positif de ce rêve. Alors qu’elle monte les escaliers, poussée par le désir de savoir, de comprendre... comme poussé par cet "ange gardien", elle aspire à la vie, tandis que ceux qui descendent... (à quoi aspirent-ils ?) ...
* les papillons sont un symbole de nouvelle vie, de résurrection. Parce qu’ils sont d’abord une larve, toute laide. Ensuite, le papillon s’extrait de son cocon, sort et s’épanouit et devient majestuex de beauté, il est alors une toute nouvelle création, comme s’il avait été né de nouveau.
Re:
De plus, l'interpretation que tu fais du rêve est intéressante sur pas mal de points.
J'ai essayé de rester dans une transcription la plus fidèle possible. Sur les détails (le genre de trucs que je retiens le moins il faut dire), les sensations et sentiments, la chronologie des faits et des idées, pensées qui parcourent le rêve et ma personne. Ainsi, les réflexions écrites dans l'article appartiennent également au domaine du rêve et à ce que je me suis dit pendant que j'étais endormie. Je me rends compte néanmoins que ces reflexions font entièrement partie de ma façon de voir et de penser la réalité, ce qui rend la chose d'autant plus saisissante. Si je m'étais retrouvée dans cette même situation dans la vraie vie, j'aurais surement pensé les mêmes phrases!!!
De ce fait, je suis assez hésitante quand à ce que ces pensées décrivent mes états d'âmes présents. Parce que ce rêve était, comment dire, spécial. Particulièrement vécu et pertinent de réalisme dans ses propres pensées. Il y a des rêves que l'on a l'impression de vivre réellement, celui-ci en faisait partie.
Les questions sur la mort ne sont quant à elles pas orientées vers des inquiétudes comme "et si ça s'arrêtait?" mais plutôt vers "de quelle façon puis-je réellement naître?". La mort est le symbole onirique des grands changements. Je ne meurs pas dans le rêve. Je suis en plein dans la mort. En plein dans une mutation de moi-même, et tous les jours je le ressens en moi ce désir de vraiment changer.
En fait, lors du passage des papillons, je suis bel et bien réveillée. C'est très étrange. Je voulais tellement ouvrir les yeux que je les ai réellement ouverts. Mais le rêve continue. Sous mes yeux ouverts, dans ma chambre. (il faut savoir que j'ai des sonneries de réveil toutes les 5/10 minutes le matin, ce qui me permet de rester dans un état semi-conscient, je pense)
Je me rappelle d'un détail particulier sur la fin.
Lorsque je ne retrouve plus l'appartement du médecin et que je vois le groupe de personnes descendre, je les suis, je ne suis donc plus "en haut" et eux "en bas", je les suis jusqu'au rez de chaussée (où ils vont assister à leur récital) et je leur parle. A vrai dire il y a une petite échelle de valeur quand meme, parce que quand je leur parle, je suis debout à quelques marches du sol, et eux sont sur le carrelage du grand hall. Mais ce hall est accueillant, il est empli de lumière du jour. D'ailleurs, je me demande si ce n'était pas dû au fait que la grande porte d'entrée de l'immeuble était ouverte (mais ça je n'en suis pas sure).
Enfin voilà! Tu m'as appris pas mal de trucs sur les significations des détails, c'était intéressant!
Merci d'avoir pris le temps de tout décortiquer. :)