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Rue du Progrès
--> Premier croisement et autres doutes

Ecrit le 22.04.10 à 14h05
Au fond, Cream je l'enviais de pouvoir faire cela. Se barrer sans rien demander à personne au beau milieu d'une soirée, simplement parce qu'il a envie de se retrouver seul et l'air semi-estival qui picote ses jambes. J'ai toujours voulu foutre le camp à un moment donné, à chaque fois. Mais rentrer chez moi à pied c'est juste pas faisable. De ce fait je me sens prisonnière, prise au piège, à attendre que les autres aient terminé les pitreries dont je n'ai strictement rien à carrer dans le meilleur des cas, que je ne cautionne pas pour un sou dans le pire, peut-être. Quoi que dit comme ça y'a pas vraiment de pire. Ca devait faire quatre heures que je tournais en rond à me demander ce que je pouvais bien foutre là, j'étais sur le pallier j'avais finalement patienté jusqu'au bout que j'attendais encore va savoir comment ces gens qui ne suivent jamais comme il faut, ni en temps ni en heure. Quelques minutes plus tôt j'avais vu Cream prendre la rue à bras le corps sans réelle explication et sans m'en rendre compte mes pieds marchaient déjà sur le même schéma. Non non c'est pas bien et puis je ne connais pas le chemin pour rentrer, les autres vont s'inquiéter, vont croire que je leur en veux, j'ai qu'à fermer ma gueule ravaler ma face faire comme d'habitude après tout j'y étais presque on était sur le point de partir, pour la énième fois certes. Mes pas continuaient à longer les murs malgré moi jusqu'à s'arrêter au premier croisement et autres doutes. Je lève les yeux vers la plaque. Rue du Progrès. Bah merde alors, si j'avais su. Tant pis j'avance. Au moins je l'aurai balayée cette impression de n'être là que pour attendre les autres. Depuis le début de la soirée j'ai faim, j'ai faim et jamais rien à grailler si ce n'est du liquide, j'vais m'acheter un truc me faire un kiff me paumer dans la ville quand sonnera minuit je demanderai mon chemin, ça fait du bien de tailler la route quand on en sent le besoin, sans avoir l'envie que l'on te rattrape, juste marcher, respirer un coup, et revenir avec le smile d'avoir fait quelque chose pour soi.

C'est ce qui me manque.
Vivre pour moi, réellement.
Me détacher de cette peur de la solitude.

Arrivée à destination à l'angle de la ligne finale je retrouve Cream assis à la pizzeria d'en face, il devait discuter depuis un moment avec le pizzaïolo qu'ils se marraient pas mal. Du coup on s'est marrés ensemble, chamaillés un peu aussi, depuis qu'on a mis cartes sur table je me sens plus sereine vis à vis de toutes ces petites choses, attendrie aussi, je comprends que ce ne soit pas dans ses habitudes, d'ailleurs si je racontais les faits tels quels personne ne me croirait sans penser que j'exagère, lui même a eu du mal à imaginer que mes descriptions étaient ce qu'il nous avait fait durant la nuit ça en devenait absurde et risible et puis même s'il s'en veut je n'en veux à personne si ce n'est la mienne. J'ai entendu qu'ils se sont livrés l'un à l'autre tous les deux sur le banc blanc en plastique quelques heures plus tôt, ils parlaient de moi, s'échangeaient des phrases importantes et sincères, tellement que je n'ai pas pu distinguer les mots, scellés par la confidence. Ca m'agace un peu quand même, j'aurais aimé savoir. Ice et Cream.

Ice m'appelle. Est rassuré par le fait que je ne sois pas seule. On monte avec les cartons à pizza, il y a plein de monde et du supplémentaire mais pour moi la fête est terminée. C'est à cause de ce même banc en plastique blanc, un peu après les deux meilleurs potes, moi assise Ice à mes côtés, un dialogue stérile, à sans cesse se renvoyer l’ascenseur, la balance, accepte ta fragilité qu'il me dit tiens c'est drôle que je me souvienne de cette phrase là en particulier, mais qu'importe, dans ses réactions j'ai vu les miennes, celles que j'ai fait subir à d'autres plus frêles que moi, à les bousculer pour qu'ils avancent, je le vois lui aujourd'hui à ma place, ne pas laisser penser les gens, les matraquer des mêmes idées inlassablement jusqu'à ce que ça entre, leur faire faire un retour à eux quand ils jugent le reste, je ne suis pas aussi excessive que Ice dans mes propos mais j'ai les mêmes penchants, je saisis désormais qu'ils brutalisent, même si c'est dans une douce intention ou des désirs nobles de rendre quelqu'un plus fort ou simplement heureux. On ne peut pas jouer au même jeu l'un contre l'autre, ça ne fonctionne pas. Et comme l'intuition qu'il souhaite garder le contrôle en toutes circonstances, même si dans le fond son but c'est de s'ouvrir et non pas se figer. C'est moi, ça aussi.
De vilains défauts.

Je suis montée me coucher plus tôt que les autres. Je n'avais pas vraiment envie de projeter de faux semblants de bien-être. Dans la chambre j'ai lu, à l'étage d'en dessous je les écoutais tantôt se plaindre, tantôt se fendre la poire d'un rire alcoolique. Je me suis allongée quelques instants, en entendant les gens commencer à prévoir de rentrer chacun chez eux. C'est la chaleur essouflante qui m'a réveillée. Il était un peu plus de quatre heures du matin et encore personne de l'autre côté du lit. J'envoie un message à Ice bien que l'on soit fondamentalement à environ un mur de différence.
"tu fais quoi?"
"je range"
"maniaque!"

Je tends l'oreille, quelqu'un glousse du côté de la cuisine. Je n'ai aucune idée du temps depuis lequel la maison est dans le silence mais je crois que ce n'est pas récent. Qu'attend-il à la fin? Lorsqu'enfin il me rejoint il n'a plus que trois heures de sommeil devant lui et le corps qui s'écroule de fatigue. Avant de se déconnecter totalement de la réalité il garde la place de me glisser :
-"Pourquoi est-ce que t'es partie tout à l'heure?"
Je prends la peine de lui expliquer le coup de la rue du Progrès, ce à quoi il répond :
-"Tant mieux, je suis rassuré alors. Si les intentions sont positives. Même si je ne comprends pas forcément, je respecte ça."
Evidemment, tout ne rentre pas en une ligne, non, même au bord de l'évanouissement, il m’enduit de longues tirades moralisatrices qui se perdent dans leur trajectoire et se mordent la queue mais bon, je commence à le connaître, je récupère l'essentiel et je le retravaille si je ne veux pas prendre ses mots en plein dans le plexus. Je commence à l'embrasser mais il s'endort alors je me serre contre lui, il vient de se doucher or ce soir il a une odeur qui me dérange, quelque chose de malsain. Je viens de fermer les yeux qu'un moustique me titille le tympan. Je crois rêver, les fenêtres ouvertes en avril et voilà les moustiques maintenant. Je suis plus ou moins phobique, je sais que je ne vais pas dormir de la nuit alors je m'assois dans le lit, paniquée, je ne peux pas allumer la lumière je vais le réveiller et il a si peu d'heures à dormir, Ice se met à ronfler il ne fait jamais ça d'habitude, ça me rappelle quelque chose. Paralysée dans le lit je sens mes larmes couler, incontrôlables. Je me rapproche d'Ice, ça va passer, et là, cette odeur désagréable, elle me revient, c'est l'odeur de la peau d'As imbibée d'alcools routiniers et de mauvaise qualité, et ces ronflements là, ce sont ceux du mec bourré  même pas capable de se rendre compte qu'il est en train de dormir. Tout mais pas ça. J'avais dit plus jamais. J'aurais dû le savoir, As et Ice ça se ressemble tellement, dans la prononciation, le visage, le côté arrogant qui cherche la petite bébête et qui sait plus que les autres. Non mais c'est faux. Ice n'est pas comme ça. Non non non.

Je m'échappe de la chambre un dégout virtuel pour les vieilles réminiscences. Assise dans le salon les lumières éteintes je pleure des heures des sanglots de petite fille la tête lourde, enfouie dans les genoux, j'ai mon portable à la main je reconnais ces crises d'angoisse il est le seul à pouvoir me calmer, à pouvoir m'entendre, je veux Blues, qu'il me serre dans ses bras me dise que ça va passer m'aide à tenir debout mais il n'y a personne, je suis toute seule au beau milieu des autres et personne pour m'écouter, sentir mes larmes se raccrocher à mes joues, j'ai le crâne prêt à sortir de mon front et les fourmis qui me montent le long des tempes, je me sens mal, je me sens seule, seule, c'est ce qui me fait paniquer, une détresse sourde, ne s'élèvent que les somnolences, personne, personne ne viendra me consoler. Il est six heures et demi du matin, je chouine encore en bouclant ma valise, je veux partir comme au début, sans crier gare, je suis dans la chambre Ice ronfle, imperturbable. On doit se partager les bouts de fromage achetés à deux avant qu'il ne parte sur Valence. Je pleure une dernière fois appuyée sur son dos, il ne reste qu'une demi heure avant que ne sonne l’alarme de son réveil. Je rêve d'un voyage en avion où je peux ouvrir les portes de secours pour accéder à une terrasse très venteuse mais totalement libératrice, je passe l'intégralité du vol sur ce sas, Cream a capté le tuyau et vient me rejoindre se griller une clope à côté des réacteurs, des énormes ventilos, on est bien.

Il est dix heures, j'ai essayé de réveiller Ice toutes les trente minutes depuis sept heures du matin, je crois qu'il n'avait pas passé une nuit normale depuis un mois au moins. Avec la perte de son chien qui était son compagnon pendant cinq ans, sa gamelle au genou qui le fait boiter comme un éclopé, la reprise du lieu associatif où il met toutes ses économies et ses enjeux d'avenir, le cancer en phase terminale d'un de ses potes, moi et mes conneries avec son meilleur ami, l'envie qui n'était pas revenue depuis cinq ans je comprends qu'il ne dorme pas. Je comprends qu'il ait des millions de choses qui le tiennent à cœur à gérer à la fois, je comprends qu'il ne soit pas en mesure de consoler ma peine, ni même de s'en rendre compte, d'être là pour mes problèmes, derrière moi, à me tenir la main, me rassurer, je comprends qu'il ait peur de se faire entraîner par quelqu'un comme moi, qu'il ne soit pas de taille à m'assister, faudrait qu'il s'assiste en premier. Qu'il se trouve, même s'il a fait des progrès énormes en cinq mois. Rue du Progrès. Moi aussi j'en ai du chemin à parcourir, ma peine à côté elle fait un peu pitié, même si elle fait mal quand même. Il m'a dit que c'était la première fois depuis longtemps qu'il avait l'impression d'avoir bien dormi. J'ai acquiescé. Un sourire en coin.


Ecrit par Dine, le Vendredi 25 Juin 2010, 22:27 dans la rubrique Actualités.