Ecrit le 12.11.11 à 02h55
Je crois que j’ai un copain. C’est assez surprenant. Il a un regard d’enfant, un corps qui s’efface dans le décor, une voix discrète et bienveillante. Il enseigne les arts martiaux et le Qi Gong dans plusieurs écoles, notamment à des malvoyants et a le geste raisonnable. En fait, c’est un mec bien sous tous rapports, propre sur soi. Sans vice. Le sourire chaleureux et l’allure timide. Carrément pas mon type, quoi.
Enfin, surtout pas le genre de personne que j’aurais eu le courage d’aborder moi-même. Moi je carbure aux grains de folie, aux réactions décalées et incompréhensibles. Aux personnalités légèrement timbrées. Et je me dis souvent que ces gens trop gentils ne sont pas faits pour moi, qu’ils vont s’abîmer à essayer de m’ouvrir, de me plaire, de m’amuser, de faire que je continuerai à les regarder. M’émerveiller. Rire.
Sauf que ce gars là à la musique pour lui. In the pocket. Mais vraiment hein, il suffit qu’il prenne son instrument contre lui et souffle dans l’embouchure, son son est une évidence. Tout est là, l’intelligence, la malice, le groove, le rauque, le style, les placements, l’invention, le timbre, le vécu, la présence, en un solo de sax. Depuis le début j’ai été groupie, et dans les concerts, lors de ses interventions, je me suis toujours arrêtée de danser, pour écouter, et être dans son esprit, dans ses notes qui remuaient pas mal. Pas mal en moi. Je n’arrêtais pas de répéter à Poubelle dans la confidence que le flow de ce type me faisait vibrer, qu’il me plaisait, mais qu’il était d’un autre milieu, d’une autre époque aussi, beaucoup trop étranger pour s’intéresser à quelqu’un comme moi. C’était il y a trois ans.
Et pendant ce temps là, de son côté à lui, il allait parler à Poubelle, lui dire qu’il me trouvait belle, et attirante, et cette idiote de Poubelle, ma meilleure amie, en trois ans, n’a jamais fait passer le message, elle nous a laissé dire, chacun de notre côté, nous monter nos propres barrières et préjugés, elle n’a pas levé le petit doigt.
Il y a bien une fois où il m’avait invitée à danser mais il me semblait qu’on l’avait un peu forcé et auparavant poussé à boire pas mal de trucs forts, je voyais bien dans son regard qu’il n’était plus tout à fait là et nos silhouettes se déhanchant sur de la salsa il avait posé ses lèvres sur mon cou. J’avais alors pensé qu’il devait être vraiment bourré pour être attiré par moi et dans le doute, j’avais fait fi ça de m’enfuir dans les bras d’un autre histoire de ruiner les chances si par mégarde il pouvait en rester.
Ca aurait surement tourné pareil hier soir, j’aurais fini par partir sans dire au revoir au moment le plus intense, avec une vieille connaissance s’il fallait ça pour survivre à la réserve. Mais. Je l’ai laissé venir. Persuadée qu’il était encore avec sa copine qui était là aussi à cette soirée, je ne me suis pas méfiée, je l’ai laissé me parler, m’approcher, je me suis osée à le titiller un peu parce que je pensais qu’il n’y avait aucunement moyen de conclure avec un homme déjà amoureux, j’ai accepté son invitation à danser, mal, en lui assénant mon coude dans son menton et me moquer de toute cette inconvenance. Je n’aurais pas cru, nullement, qu’il retardait son heure de départ à chaque fois, dans l’espoir de se confesser à moi, et lorsqu’après avoir causé énergies il m’a parlé d’attirances je n’ai pas relevé, j’ai trouvé ça logique dans le fil de la discussion, lorsqu’il m’a avoué que la différence d’âge au départ avait été un frein je lui ai répondu « un frein pour la conversation? », et lorsqu’il s’est avancé pour m’embrasser j’ai eu un instant incrédule, après le baiser, lui demander maladroite « mais, ce n’est pas ta copine qui se trouve dans la salle, là? », « eh bien, je suis content que tu me poses la question parce que ça me mettait mal à l’aise, mais non, nous ne sommes plus ensemble » et voilà. En beauté. Grosse bétasse aveugle aux sous-entendus et surprise par la rencontre de ses lèvres, je me suis fait avoir sur toute la ligne, ai mordu à l’hameçon, même s’il n’est qu’un concours de circonstance, je n’aurais pas laissé cela se produire, si j’avais su, j’aurais manqué de courage par anticipation, j’aurais eu le stress et me serait dégonflée au dernier moment mais là non. Ca s’est juste fait sans moi. Sans me prévenir.
Alors me reste le goût de la mauvaise blague. Une mauvaise blague qu’on apprécie quand même, parce qu’on a un sale humour. C’est comme si je n’avais pas choisi. Et que je n’étais pas prête. Que je ne me sentais pas de taille à affronter un être si sensible. Aimant, tout ça tout ça. Quelqu’un qui n’a pas de problèmes à régler. Enfin, on ne peut jamais savoir tout à fait. Et qu’est-ce que je fais?
Je me lance?
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