Ecrit le 27.01.12 à 01h30
J’étais au bord de la crise de nerfs. Passer à côté d’un peu tout, rater les opportunités, les rendez-vous, et le bus pour rentrer. Les méprises et les mésententes. Beaucoup d’efforts pour se rendre compte que l’on s’est agitée dans le vent, parce qu’on n’est pas écoutée, parce qu’on n’en a rien à foutre, inconscients du temps qui se perd à faire l’aveugle et nier les actes pour lesquels tôt ou tard on devra prendre part.
J’étais au bord de la crise de nerfs. Je venais de rater mon dernier bus de la journée en sortant du travail il était vingt et une heure trente et mes doigts s’enfonçaient loin dans mes paupières pour retenir mes larmes de couler. J’avais déjà expulsé une partie de ma colère sur le répondeur de Néro et ce pour la première fois, parce qu’il m’annule après le temps imparti, après que j’aie posé mes congés et pris mes billets de train et qu’il reste injoignable alors qu’on doit finir l’édition de cette maquette avant mon départ pour Paris, qu’il est incapable de se garder une journée pour le faire, qu’il reste vague, ne me confirme rien me laisse dans le flou des choix à opérer et qu’une fois faits me dit ah ben finalement non, tu t’es trompée de route. Je n’ai jamais osé lever la voix sur lui mais après tout, ce n’était que de la haine balancée contre un mur de silence. Et je regrette déjà. M’être emportée de la sorte. Parce que je comprends trop les situations dans lesquelles les gens se trouvent pour leur en vouloir réellement sauf que cette fois, j’étais au bord de la crise de nerfs.
Alors j’ai demandé aux clients qui partaient en même temps que moi, dans quelle direction ils allaient. Evidemment, pas dans la mienne. Ce n’est jamais dans la mienne. De toute façon il fallait que je me rapproche du centre pour prendre un bus de nuit, alors je les ai suivis. Ils étaient sur le point de se trouver un resto pour compenser le sport dans ce coin sympathique que je fréquente souvent et de fil en aiguille, se donnant mutuellement l’eau à la bouche à force de parler bouffe dans la voiture, on a pris une table pour trois. Je me suis tapée l’incruste des soirées "pères de famille" du jeudi mais j’étais au bord de la crise de nerfs, alors j’avais une excuse. Parce que, rien de tel qu’un Saint Marcellin rôti au miel pour commencer à oublier les tracas et un canard braisé au vin rouge pour achever l’esprit de tout pessimisme. C’est dit, pour me rendre heureuse il faut me nourrir.
Ca devait être un dépaysement, de l’exotisme, une jeune fille entre eux deux. On s’était souvent croisés mais nous ne nous étions jamais échangé les prénoms. Je me contentais de prendre les réservations et encaisser les espèces. Au final, on en est quand même venus à pleurer de rire sur nos assiettes et sortir les mouchoirs histoire de se calmer en douceur. A cause du voisin au comptoir qui commençait sa tirade par « Au fait, samedi dernier ils ont amputé ma grand-mère. Du pied droit. » Et dire qu’un peu plus tôt j’avais failli lâcher mes larmes pour de la tristesse.
Evidemment, il y en avait un sur les deux que j’aurais bien embrassé. Un petit blondinet, les cheveux en bataille et les yeux revolver. Aussi mignon qu’un Calvin. Un petit air caché de Grand Fou sur les bords. Franchement, chercheur en microparticules au sourire malin et à la vanne sarcastique, c’est un choix convenable. Bon, un autre hein. Un disponible, c’est faisable? Au fond, y’en a plein partout des hommes convenables.
J’ai passé une soirée extra en compagnie de presque inconnus et je ne devrais plus hésiter lorsque le moral se terre dans ma chaussette à sortir de mes sentiers battus respirer l’air d’un ailleurs. Résultat j’ai le coin des lèvres aux oreilles et je me sens tellement soulagée. J’ai fait un rêve ce matin. Apparemment, il n’aurait pas duré plus de dix minutes. Pourtant, dans le scénario onirique, il s’étalait sur plusieurs jours. Il y a juste ce passage qui m’a marquée plus que le reste.
Je marchais avec un ami que je n’avais pas revu depuis des lustres, on était dans la rue et je ne sais pas s’il pleuvait ou si le sol était simplement mouillé par une pluie antérieure, il n’empêche que sur le stand devant cette chocolaterie, une plaque entière de chocolat de luxe entassée sur une pile en équilibre est tombée sur le sol, ça ne me concernait pas, moi je discutais avec mon ami, il n’empêche que j’ai trouvé ça dommage de laisser cet excellent chocolat prendre l’eau dans son coffret de papier cartonné qui s’était ouvert sur le trottoir, alors j’ai soulevé cette boite, de bien 40x65cm, ai essuyé l’eau du dessous et l’ai rangé bien au chaud dans un étalage dans la cuisine vide, à l’intérieur de la boutique. Il n’y avait personne, alors j’ai laissé un mot sur la boite, qui disait que je l’avais rentrée pour ne pas qu’elle prenne l’eau davantage, et qu’en guise de compensation, je m’étais permis de goûter un bout de ce chocolat exquis. Après tout, j’aurais pu partir avec la boite entière, personne ne surveillait. Mon ami, en entrant dans cette cuisine suréquipée, s’est senti de préparer un festin avec que des produits sains et variés, mais j’eus un imprévu qui m’empêcha de rester pour le dîner.
Ce n’est que plus tard dans le rêve, et quelques jours écoulés que je repassai devant la boutique. Je tins à aller saluer le chocolatier en chef qui s’avéra être une chocolatière. Son visage ne m’était pas inconnu, d’ailleurs, quand elle me vit, elle me demanda si on ne s’était pas déjà rencontrées quelque part. Je lui racontais l’histoire des plaques de chocolat tombées sur le sol humide de la dernière fois et mon initiative, elle me remercia et avec bienveillance m’invita à entrer à nouveau dans sa cuisine, me montrant son savoir faire et me faisant goûter à ses merveilles. Elle me proposa même de travailler pour elle, si jamais je cherchais un emploi, puis m’invita à boire un thé dans son appartement avec son concubin, à quelques rues de son atelier.
Cette chocolaterie devint un lieu de prédilection et de sourires et cette femme une personne chère à mon cœur, je passais devant la boutique régulièrement dire bonjour jusqu’à y croiser Grand Fou par un de ces hasards. Il avait deux langue-de-chat, une dans chaque main et il m’en tendit une. La sienne était un peu différente de la mienne, d’ailleurs à la fin, ce n’était même plus un bout de gâteau, mais quelque chose en métal sans cesse en transformation je crois bien. Je croquais dans ma langue-de-chat pendant qu’on s’échangeait quelques mots.
- « Alors, parisienne pour de bon? »
- « Il est vrai qu’on se croise souvent, mais je fais encore les aller et retour. »
- « Eh bien, reste six mois! » fait-il dans une grande exclamation en écartant les bras.
- « Tu sais, on se croise tellement souvent qu’au final, c’est autant que si j’étais restée! »
- « Certes. »
- « Sauf qu’on ne profite pas de ce temps là. Lorsqu’on se voit, c’est comme si ça n’existait pas. »
Ca le fait sourire, il a le regard qui sait de quoi je parle et qui acquiesce à demi-mots mais je n’ai pas fini de m’exprimer alors en me rapprochant de son visage dans un grand élan de courage je m’agrippe à sa veste pour donner du sens à ma phrase :
- « Alors, ce serait bien que les prochaines fois on saisisse réellement les chances de se rencontrer pour se parler mais pas pour ne rien dire, qu’on soit présents lorsque vient le moment, vraiment, d‘accord ? »
- « D’accord. »
Je sursaute à nouveau avec la sonnerie du réveil.