C'est en me concentrant sur cette vision onirique de la vie que je suis rentrée une ultime fois dans sa chambre, pour m'y coucher.
Mais cette fois, la lampe de chevet était allumée. Maro lisait les dernières pages de "L'étranger" de Camus. Alors, sans le déranger, je me suis immiscée sous la couette, en silence. J'ai fixé le plafond pendant quelques minutes. Lui, le dos tourné, a refermé le livre ....il ne lui restait pourtant que trois pages paumées à lire, mais il a fermé le bouquin et éteint la lumière.

Mon cœur s'est accéléré quand je me suis souvenue de la dernière nuit foireuse passée à ses côtés. Celle où j'avais littéralement dû me battre pour la liberté de mes opinions. Oui, je m'en rappelle bien, de celle-là.....et à mon avis, lui aussi. Je me demandais si, d'une manière où d'une autre, il allait me le faire payer......bien qu'au fond, je savais qu'il n'était pas rancunier.

Il m'a tendu la main, comme à son habitude, pour me ramener contre son corps. Il m'a serré étrangement de toutes ses forces, tellement fort que je m'en suis étouffée. Puis il m'a regardé dans les yeux, vraiment. Il m'a serré contre lui, encore et encore, passionnément. Les bras m'en tombaient. Il était doux, tendre et attentionné, ce qu'il n'avait jamais été auparavant. On se  parlait du regard et il était timidement touché. Il ne me dirigeait plus de ses mains, chose que je détestais par dessus tout, il me laissait mon libre arbitre, il me respectait, il n'était plus sûr de lui, plus sûr de rien, il ne savait plus comment réagir et c'est tellement émouvant quand il hésite. J'étais sur lui et mes cheveux l'empêchaient de respirer, alors régulièrement je lui demandais si ça allait. Il me répondait toujours:

-"Ca va."

Il faisait très chaud et mes cheveux l'étouffaient, mais il ne bronchait pas. Il préférait rester comme ça. A étouffer.

Et moi, qui le dévorais du regard.
Et lui, qui était si beau.
Et la pluie, qui soudain avait un son agréable.

Finalement, je me suis demandée si ce n'était pas ça, le miracle que j'espérais tant....en priant pour qu'il ne soit pas uniquement éphémère et ne s'estompe pas dès le soleil levé.

Ca me titillait. Ca me titillait tellement nerveusement que j'ai fini par lui demander :
-"T'es bien câlin aujourd'hui, toi ! ça change de d'habitude..."

Maro, quand on aborde des sujets qui s'écartent du trip non-sens-20e-degré ou qui s'approchent même de très loin à ce qu'on pourrait communément nommer "sentiments", perd ses mots. Déblate un millier, voire très peu de choses, tout en restant un maximum incompréhensible dans chacunes de ses phrases. L'objectif étant de fuir, fuuuuuir, vite fuir et se cacher de la réalité trop rude pour ses beaux yeux bleus-verts glacés menthe à l’eau. Alors quand j'ai voulu savoir pourquoi il était plus câlin cette fois-ci, il a maugréé des : "roooo gnieuuu scrogneugneugneugneu, aaaaarh pfut pouet pouet, gneeeu, beeeen hffdeetukpnbs gtrrgiik spouik scrogneugneugneu...."

C'était attendrissant, malgré ce franc manque de clarté, mais j'ai cru comprendre vers la fin de son argumentation qu'il essayait en fait de me dire :

-"Laisse-moi le temps..."

Et alors quoi? Avec le temps il va devenir un autre homme ? Mais y'a que dans les fictions que ça se passe comme ça, ne rêve pas Dine, tu t'es trop faite de films jusqu'à présent. T'as du mal entendre. Tu peux toujours avoir recours à un coton tige pour soulager ta peine.

Et c'est au moment propice où l'on est affaibli psychologiquement que ressurgit la petite voix chiante et naïve au fond de soi qui nous rerabache ses éternels :
-"Patience.....il peut changer....il va s'en rendre compte."

On croyait l'avoir éliminé cette pimbêche de voix qui raconte n'importe quoi, mais maintenant.....on en vient à se demander si elle n'avait pas raison depuis le début. Et on recommence à croire aux contes de fées. Et à la happy end. Et du coup, on ferme pas l'oeil de la nuit.

Maro, il se pose pas autant de questions, lui, il dort comme un loir. Il a pas tous ses états d'âmes qui envahissent sa tête au point de l'empêcher de dormir, non... c'est trop important le sommeil. D'ailleurs, il a vraiment pas fait long feu, ni une ni deux et hop ! Je me mets à ronfler et je prends toute la place.

Et moi, en le voyant étalé sans scrupule, la bouche grande ouverte, enroulé entièrement dans la couverture que l'on était sensé partager à deux....
..."à deux", mouarf, sait-il au moins ce que ça veut dire?...
...sincèrement......je me mets à repenser qu'il s'est encore foutu de ma gueule. Que c'était encore dans ses plans machiavéliques, le retournement de situation "ah finalement moi aussi je tiens à toi" "mais ne t'en va pas c'est juste qu'il me faut du temps".....c'est sûrement la paranoïa aiguë qui me guette mais.....j'ai vraiment l'impression qu'il me manipule à sa guise...
....et que tout fonctionne toujours comme il le souhaite....
...malgré mes efforts divers et (a)variés.

à suivre....