Ecrit le 13.04.11 à 02h05
Ca fait déjà bientôt deux semaines et je n’ai toujours pas osé effleurer le clavier, attendant nonchalamment que les souvenirs s’estompent au soleil. Il faisait chaud sur les quais mais peut-être était-ce moi qui cramais de l’intérieur, j’étais probablement la seule à ne pas supporter le poids de mon manteau sur les épaules la nuit fraichement tombée. Lorsque je suis arrivée à destination il m’a pratiquement tout de suite remarquée à l’autre bout de la foule et m’a fait un signe de la main en guise de bonsoir, sûrement pour ne pas avoir à venir me faire la bise. J’avoue avoir été soulagée qu’il ne se déplace pas jusqu’à moi. Je me sens si impuissante lorsqu’il fait son premier pas hésitant, parce qu’alors j’ai cette impression pesante qu’il est de mon devoir de faire tout le reste.
En y réfléchissant, je ne savais pas trop pourquoi il était encore dehors à cette heure proche du commencement, de tous les musiciens et artistes présents, il était le seul à ne pas avoir rejoint ses loges mais mon esprit de déduction me joue des tours et je ne cesse de trouver des raisons à chacun de ses gestes. La première partie du concert démarre et après plusieurs minutes je sens le Grand Fou à mes côtés dans l’obscurité, je n’ose pas bouger, lui non plus d’ailleurs et c’est con, on en revient toujours à ces attitudes ridicules de timidité extrême, m’enfin, ce coup-ci, il se peut fortement que ça n’ait aucun rapport avec le schmilblick. Il faut dire qu’à cette soirée de l’avant-veille je lui avais légèrement mis un râteau lors de sa tentative d’approche désespérée et ça n’avait amusé que moi, et même que le côté marrant de la chose n’avait pas duré très longtemps….vu qu’il n’avait plus osé m’aborder après ça.
C’est ce qui m’inquiétait. Qu’il ne désire plus faire appel à moi lors de ses minutes inoccupées. Comme je maîtrise à la perfection l’art d’être au bon endroit au bon moment, je venais de poser mes fesses sur la cuvette des chiottes lorsque j’entendis sa voix amplifiée parler aux spectateurs. Ni une ni deux je sors des toilettes sans avoir fait pipi et sans scrupule bouscule les gens pour me hisser à peu près dans les premiers rangs. C’est un lieu sans siège pour une fois et ça me donne l’occasion de trémousser frénétiquement mes pieds et mes jambes et mes doigts et mon corps entier sans passer plus que ça pour la cinglée de service. Je suis en face de lui, à une bonne place. Et puisque je suis pile dans le champ de vision principal, il regarde dans ma direction. Je pourrais dire qu’il me regarde, mais je n’en sais fichtrement rien. De là où je suis je peux observer ses yeux s’éclairer et reluire lorsqu’ils se frottent aux miens et c’est arrivé plus que souvent. Alors en train de mutuellement se scruter je lui murmure les paroles de ses chansons, au cas où il oublie.
Au cas où il oublie.
Embr@sse moi, avant que j’dis€ n’imp0rte quoi. Chantait-il, lorsqu’est venu s’enchaîner à la mise en scène ce vieux morceau de Lucienne Delyle.
Embrasse-moi chéri
Ca suffira
Tout mon ch@grin chéri
S’env0lera
J’ai pardonné d’avance
Mais tu le sais déjà
Pour moi la vie c0mmence
Entre tes bras
Pendant la diffusion de cet enregistrement rétro lui et ses musiciens se taisent d’un silence burlesque, puis se décident à descendre dans le public faire quelques pitreries et autres embrassades chaleureuses. Grand Fou est debout seul sur la scène et se gratte le menton d’un air pensif alors que ses acolytes déambulent dans la salle, je suis leurs ébats d’un œil distrait lorsque j’entends un grand boum et un poids sur le bout de mes pieds, ce sont les avant-bras et la tête du Grand Fou qui vient de sauter dans le vide et se rétamer contre mes grolles pour le comique de situation. Il est littéralement à ma botte et ça me fait rire aux éclats sans m'arrêter. Je dois être perturbée.
Pour la chanson de rappel il invite Mule avec qui il partage la soirée à monter avec lui, instant totalement paradoxal et improbable qui incite grandement à la drôlerie, d’ailleurs les gens se marrent tout au long de l’épisode, réussi, pour le coup. Je me rappelle, la semaine d’avant pour son concert dans ma région j’avais demandé à Grand Fou s’il avait prévu quelque chose de particulier avec Mule vu qu’ils jouaient pour la même date il m’avait répondu non, qu’il n’y avait pas pensé, puis en y songeant devant moi il avait annoncé qu’il ne le ferait pas, qu’ils n’auraient probablement pas le temps de se rencarder pour préparer quoi que ce soit. Alors je sais bien que ça n’a rien à voir avec moi. Je le sais, mais ça rajoute des couleurs au rêve.
[à suivre...]