Ecrit le 20.05.10 à 12h05
"Alors tu vas me la ramener tout de suite et je t'interdis d'y modifier quoi que soit."
C'était presque un sermon, assis à mes côtés on était un peu bêtes, lui pas mal éméché, c'était qu'on fêtait le changement de propriétaire du bar, qu'il fallait lui écouler tout le stock et que Cream était entré dans des paris à la con en s'enfilant des mélanges chelous, il était tout frit et me regardait avec ces mêmes yeux qu'à cette soirée où ça n'avait pas tourné rond. Tu penses, on aurait tourné en rond on se serait probablement jamais percutés de la sorte. Il me parle en langage codé comme si je comprenais très bien, et ça marche. Avec lui, pas besoin de beaucoup de mots, et pourtant le dialogue est si facile. Je lui ai dit pour la lettre, sa réaction m'a étonnée. C'est seulement lorsque main dans la main s'étant enfuis dans les rues désertes nos pas nous ont conduits vers une impasse que j'ai réalisé, le "je suis amoureux" de la dernière fois il était en fait pour moi.

Je ne veux pas être une envie qu'il oublie le lendemain une fois le cerveau dégourdi. Ses bras et ses baisers je veux qu'il me les offre les pensées claires et justifiées. Attendre jusqu'à demain, on est pas à ça près. Après qu'il m'ait confié ces maux au cœur, il a dit "alors on attendra jusqu'à demain.". On est retournés auprès des autres en rentrant tous ensemble il n'arrêtait pas de répéter "je suis très très amoureux il faut que je l'exprime" ça faisait un peu marrer tout le monde, tout le monde sauf Ice évidemment.

Je suis perdue oui oui. Je n'arrive pas à choisir. Choisir un lit pour dormir. Je ne ferme pas l'œil de la nuit, les images déconstruites. Je ne veux faire de mal à personne. Mais je fais tout le contraire. Je ne comprends pas. Les sentiments d'Ice, je ne les comprends pas, ou tout de travers, dans ses phrases et appels au secours je ne distingue que la syntaxe, pas le sens profond, c'est pour ça que je me sens abandonnée de la sorte, c'est une question de deuxième lecture que je ne parviens pas à avoir avec lui. Il me dit, si tu crois faire du mal à Cream tu es à côté de la plaque, si tu crois avoir une quelconque importance pour lui tu te mets le doigt dans l'œil, je suis son meilleur ami il serait venu me voir en premier pour m'en parler, pour me dire les choses, me dire je suis amoureux, pour que l'on s'explique. C'est même pas sur qu'il se rappelle déjà de quoi que ce soit. C'est vrai, je ne connais pas Cream aussi bien qu'Ice le connait. Je m'immisce. Ice me dit, si tu penses que tu es la première à t'immiscer entre nous deux, tu te trompes aussi. Alors je ne sais rien.

Tout ce que je sais, ce sont les larmes d'Ice toute la nuit au creux de mes bras. Cette parole qui nous manque souvent et que l'on sort pour les grandes occasions seulement. Lorsqu'il est à bout et qu'enfin il se lâche. "Tu me manques." Ca devient plus que fort. Ca devient, encore quelque chose d'inexistant quelques secondes plus tôt. Pourquoi est-ce que c'est à chaque fois différent. C'est vraiment déstabilisant. Mes repères dégringolent jour après jour, je sais de moins en moins les choses je me bute à des nœuds qu'il faut sans cesse démêler j'ai l'impression qu'à chaque fois ce sont les mêmes qui se reforment en plus épais, plus solides.

Le lendemain matin je descends les escaliers Cream me demande si je bois du thé mais finalement il n'y a pas de gaz alors ce sera un jus d'orange. Assis tous les deux au soleil sur la terrasse il me dit qu'il ne se rappelle même plus l'heure à laquelle il est rentré et comment il est rentré.

Il est rentré en me tenant par le bras essayant de m'enlever dès qu'il trouvait un pallier de maison un peu renfoncé mais bon il ne s'en souvient plus c'était drôlement prévisible dis donc. Pas plus mal au final. Ice se réveille on amène le matelas dans le salon on ferme tous les stores aujourd'hui c'est journée agoraphobie coupés du monde, un film naze en fond sonore, Intraçable, des répliques à la con pile poil ce qu'il nous fallait, je suis allongée entre les deux, sournois comme position, Cream me tient la main, je prends la main d'Ice. Je les aime tous les deux pour des raisons multiples et jamais communes.
Cette situation ne pourra pas durer très longtemps.

Le soir on avait une réunion professionnelle avec Cream, à se balader dans les ruelles il avait l'impression d'être ailleurs, en vacances, dans un autre pays. Ca me fait souvent ça quand je me sens bien aussi. Il a attrapé mes doigts et on a marché, emballés, sur le même rythme. A la fin de la réunion on s'est éloignés pour prendre un verre sur ce bar en bas des escaliers. La fumée allait dans ma direction le vent était contre moi, alors en se croisant pour échanger nos places il a agrippé ma taille pour me coller à sa bouche.
-"Tu ne te souviens vraiment pas d'hier soir?"
-"Si, bien sur que je m'en rappelle. Je m'en rappelle très bien même."

Il ne se souvient peut-être pas de tout, certes. Sur le chemin du retour, bien que je n'avais absolument pas envie de rentrer, il répétait "c'est vrai qu'on est bien tous les deux", le même speech que la veille. Mais Ice ne le supportera pas. C'est aussi ce qu'il a dit. Ce serait bien un ménage à trois. Le compromis parfait. Puisqu’apparemment ce sont mes tendances, chopper les meilleurs amis. En montant les escaliers, Cream bafouillait des phrases qu'il remettait en place dans son cerveau, comme s'il s'entrainait. Puis, lorsqu'il a ouvert la porte de la maison il a balancé :
-"Ice, faut qu'on prenne rendez vous!"

Pour discuter, haha. On ne fait que ça, discuter, résoudre les conflits, s'entêter à ne pas vouloir se comprendre réellement, ne pas se découvrir, sortir ce qui fait mal sans réserve tant que l'on ne se sera pas fait passer les choses telles qu'elles sont, elles resteront en nous, inatteignables. De toute façon je ne trouve pas de fin à cet article.