Le problème avec les rêves que l’on touche de trop près, c’est qu’il suffirait d’un souffle. Juste un souffle pour percer la bulle à féérie. Ce petit truc si mince qui n’arrive pas, jamais. Mais c’était moi, ça devait venir de ma bouche, j’attendais un miracle qu’il m’aurait fallu produire. J’en étais incapable. Pétrifiée par la réserve de le savoir en face de moi, ce Grand Fou, il me tendait pourtant ses bras, à sa manière, les signaux que je n’ai pas su transformer. Il en a patienté des mois, c’était exceptionnel, ce temps qui s’étirait pour nous laisser des chances. Toutes ces chances que je n’ai pas saisies par trac, je ne pouvais pas, c’était, vraiment trop pour moi, insurmontable, passer mes heures à tourner en rond autour du pot essayer de l’aborder, mal, mais quand même, et finalement ne lui mettre que des vents lorsqu’il tente une approche, lui pourtant si timide, devant faire le travail à ma place. Je m’en suis mordue les doigts. Me découvrir si inapte.
J’ai tout fait pour me ressaisir.
Je n’ai fait que compenser l’échec.
Je n’étais pas capable de réaliser mes désirs? Bah tiens donc. Je me suis prouvée le contraire, tout au long de l’année, à de nombreuses reprises. Il me suffisait d’envisager, d’évoquer l’idée et j’obtenais, avant même de demander. Sans dire. Le pouvoir d’une énergie séductrice en mode vibreur. J’ai parcouru des kilomètres de peaux improbables, me suis fixée des challenges absurdes, rendre visite à mes fantasmes, uns par uns, placer la barre à des sommets peu convenables. En terme de contextes. De cran, aussi. Et puis, une fois repue, je me rasseyais à ce bar un verre de jus de poire à la main et je rêvais du chanteur. Je l’écoutais me fredonner ses rimes anatomiques, bafouiller avec ses yeux des non-dits méconnaissables. Sans discerner pourquoi. Pourquoi quand c’était lui, je n’y arrivais pas. Désarmée.
J’ai alors pensé que d’une certaine façon, j’en étais amoureuse.
Tout cet amour en moi, au premier abord, j’ai cherché à ne pas le fuir. Mais ça ne menait à rien de concret, et les mois défilaient sans moi. Alors je l'ai fui. C‘était comme si au final je ne pouvais me diriger qu‘au même endroit. Quoi que je choisisse, à l’intérieur comme à l’extérieur, je finissais toujours par me retrouver nez à nez avec cet émoi presque anachronique, le croiser par hasard les bras ballants, toujours aussi idiote lorsqu’il s’agit de communiquer avec l’être, moi qui pensais avoir acquis l’art de briller en société par ma verve et mon charisme, zéro. Zéro pointé. Eliminatoire. Grand Fou, il n’avait pourtant rien de particulier, à part sa musique. Il était plutôt invisible. Si réservé, observateur qu’il en parvenait à se fondre avec le comptoir, être une pièce du décor, oui, c’est comme si j’avais bloqué sur un bout de mobilier auprès duquel je m’inventais toutes les histoires. De toute façon, il n’était pas plus bavard qu’une table basse. Sauf soirées exceptionnelles qui se prolongent jusqu’à tard dans la nuit, où il déversait d’une giboulée son quota de phrases pour une année. Bref. Et mon quota à moi dans tout ça.
C’était décidé. Si je voulais ajouter quelque chose à la conversation, ce ne serait dorénavant qu’avec du piano en accompagnement. Alors je me suis mise au travail. J’ai déménagé l’instrument dans ma chambre et ai commencé mes nuits interminables. A rêvasser. Projeter les images. Mes mots en ont subi les conséquences, à force d’aller-retour acharnés entre ici et Paris ils ont pris de la bouteille, ont fini par voir du pays, et des lueurs. Nouvelles. Mon champs lexical, à la merci de son aura fantaisiste, de ses façons de dire. De ses couleurs, ses contours, ses matières, son corps et l’urbanisme de son amour. Son amour, jamais réellement pointé sur moi. Comme une éventualité éternelle. Mais je m’y suis fait.
J’avais sa tronche sur les murs de ma chambre pourtant toujours restée vierge. Une idole des mots. Je les ai tordus de toutes les manières sous son regard en papier glacé, sa bienveillance imaginaire. En silence, j’ai commencé à m’éprendre du verbe et à prendre les syllabes pour ce qu’elles étaient. De la musique.
Mai 2011, c’est venu tout seul. L’inspiration, comme si elle n’était jamais partie. Comme si elle avait gardé un œil au dessus de mon épaule, à suivre mes réflexions, mes faits et gestes et avait appris de mes propres erreurs. C’est une chanson. Elle n’est pas pour Grand Fou. Elle est pour Rom.
Mon véritable amour.
Celui qui est devenu mon ami, mon confident, mon partenaire de l’esprit, mon compère de l’humour. Celui qui derrière tout ça était avec moi, dans les salles, dans le froid. Dans la nuit, qui m’a prêté un lit pour dormir et ses bras pour pleurer, ses yeux pour rire. Qui dans tous mes rêves, mes contes de fées était présent, là, pour me tenir la main, me ramener au réel par sa stabilité, son calme, sa folie, la partager avec lui. La rendre palpable. Mes doigts ne s’étaient pas trompés, elle était là la rencontre. Dans ce qui appartenait au simple. Dans ce qui pouvait se serrer dans un poing. Parce que c’était vivant.
Paris, je montais fouetter ma léthargie artistique.
Je suis tombée amoureuse.
Et j’ai trouvé un ami.
Dans le calendrier temporel décalé d’ici, l’année se termine également sur un voyage. Les prises de conscience en supplément. Retourner visiter la botte et se perdre dans le grand Rome. Déambuler dans les rues désertes à cinq heures du matin et voir le jour se lever sur le temple des Dioscures, auprès d’un membre de ma famille. J’ai compris ce qui était précieux. Ce qu’il fallait chérir et entretenir. Ce qui comptait réellement, qui faisait le poids sur la balance d’un parcours, et ce qui était moins lourd. Même si je n’ai rien dit. Même si je n’en ai parlé à personne. Avec le temps j’ai su faire la différence, et apprécier les choses et les gens si ce n’est à leur vraie valeur, d’une valeur plus juste.
Même si je n’ai jamais pu m’empêcher de continuer à chercher Grand Fou du regard. De m’attendre à ce qu’il surgisse au détour d’un couloir, dans un pays inconnu je l’aurai attendu quand même. Même si je n’ai pas réussi à arracher toutes les parcelles d’espoir qui me collent à la peau, ces désirs chevaleresques chargeant sur mes silences insipides et la déception indéfectible de savoir que j’aurai pu. Que j’aurai pu vivre mon rêve.
Et que de rêver ou vivre je n’ai pas fait assez fort?
Je suis pleine de vie, et pleine de rêves. Alors, il y en aura d’autres.
Parmi eux, ceux qui ne disparaîtront jamais.
Commentaires :
MangakaDine
On ne m'y reprendra plus, faire autant de liens dans un article et devoir tout relire. Quelle plaie franchement.
Et puis, c'est pas comme si je pouvais me consoler en pensant qu'au moins ça avait servi à quelque chose....
Bref.